Une interview pour Meditation France, avec Khirad Emmanuel Moulin, le 25 juillet 2025. Publiée sur www.MeditationFrance.com
Tu es passionnée par les constellations familiales, la méditation, la thérapie méditative et la vie, et tu proposes régulièrement des retraites / week-ends sur ces thématiques. Comment fonctionnent les constellations familiales ?
Nous naissons tous dans une famille, et nos vies sont profondément influencées par la famille dont nous venons et par les événements qui s’y sont produits.
Dans tous les systèmes familiaux, certains principes universels sont à l’œuvre. On les appelle les « ordres de l’amour ». Ces ordres de l’amour relient et influencent tous les membres du système familial. Ils concernent des notions comme l’appartenance, la hiérarchie, ou encore le donner et le recevoir.
Tant que ces ordres sont respectés, les membres de la famille se sentent en paix, reliés, soutenus, dans le flux. Ils peuvent s’épanouir.
Mais lorsque ces principes sont transgressés, la famille entre en déséquilibre. Cela se manifeste par des conflits, un sentiment de lourdeur, un manque d’amour ou de soutien, des relations distordues, des maladies, ou encore une impression générale que « quelque chose ne va pas ». Ces transgressions sont toujours alimentées par un amour aveugle, c’est pourquoi on les appelle souvent des « enchevêtrements ».
Voici un exemple. Dans la relation parent-enfant, ce sont les parents qui donnent, et l’enfant qui reçoit. Si les parents ne sont pas en capacité de donner, l’enfant vivra cela comme un abandon. Si l’enfant ne se réjouit pas de recevoir ce que les parents lui offrent, s’il juge ou rejette leur don, il se sentira affaibli.
Entre partenaires, le donner et recevoir suit une autre dynamique. C’est un équilibre essentiel. Lorsqu’il est harmonieux, l’échange grandit, et avec lui l’amour. Lorsqu’il est rompu, le donner et recevoir diminue peu à peu, et la relation ne peut pas durer.
Les transgressions des ordres de l’amour sont fréquentes et ont des conséquences profondes. Les constellations familiales permettent de rendre ces enchevêtrements visibles et de les traiter. Une fois que l’on voit où ils se sont produits et que l’on comprend leur dynamique, on peut redéfinir notre place dans notre système familial.
Les constellations familiales sont un processus expérientiel puissant. Ce n’est pas une thérapie par la parole. On n’analyse pas les problèmes, on ne cherche pas des solutions mentales. Avec l’aide du groupe et la guidance du thérapeute, on se reconnecte à l’âme de notre famille et on travaille avec la conscience familiale pour rétablir l’équilibre naturel.
En 2008, tu as commencé à visiter le grand centre de méditation d’Osho à Pune en Inde, où tu as fini par coordonner la Multiversité. Peux-tu nous parler de ton approche des constellations familiales en lien avec la méditation et une vision plus spirituelle ?
La méditation – synonyme de présence, de conscience, de pleine attention – est l’art d’être présent à soi-même, aux autres, et à ses émotions. Les constellations familiales sont en soi un outil très puissant, mais je trouve qu’en lien avec la méditation, elles prennent une autre dimension. La méditation soutient le travail de constellation familiale de plusieurs façons.
Tout d’abord, la méditation – ou la capacité à être conscient de soi – nous aide à reconnaître les problématiques présentes dans notre vie. Accepter des vérités inconfortables demande du courage, mais c’est le seul moyen pour qu’un changement soit possible. Il ne peut pas y avoir de transformation sans reconnaissance du problème.
La méditation est aussi précieuse dans les groupes de constellation. Elle permet aux représentants de ressentir clairement, de distinguer les émotions authentiques des projections mentales ou des interprétations. Cette distinction est précieuse. Moins d’erreurs, plus de fluidité, le cœur du problème émerge rapidement.
La méditation soutient également chaque participant dans son processus personnel. En constellation, on traverse souvent des émotions fortes, liées à des événements douloureux qui font partie de tous les systèmes familiaux. Ressentir ces émotions est essentiel. C’est souvent l’incapacité à ressentir certaines douleurs à la base qui crée les enchevêtrements. Être présent à nos émotions, avec compassion et patience, leur permet de suivre leur cours naturel. Quand elles sont réprimées, elles stagnent et bloquent nos énergies personnelles et systémiques. On veut souvent les émotions « positives » et on rejette les « négatives ». Pourtant, les émotions ne sont ni bonnes ni mauvaises, elles sont. Elles ont toutes une raison d’être. Osho disait : « La tristesse donne de la profondeur. La joie donne de la hauteur. La tristesse donne des racines. La joie donne des branches… Les deux sont nécessaires. »
Dans son centre, Osho insistait sur la pratique quotidienne de la méditation. Je fais la même chose dans mes retraites. Les méditations actives d’Osho ont été scientifiquement conçues pour restaurer l’équilibre du corps et de l’esprit. Certaines libèrent les émotions refoulées, d’autres délogent les énergies stagnantes de la mémoire cellulaire, d’autres encore apaisent le système nerveux à travers la voix ou le mouvement lent.
Dans mes retraites, nous utilisons ces techniques chaque jour pour soutenir nos processus intérieurs.
Tu es toi-même devenue maman… j’imagine que cela a aussi enrichi ton expérience et ta compréhension de la relation parents-enfants ?
Bien sûr ! Je suis maman de deux filles. Avant de les accueillir dans ma vie, j’ai eu la chance de pouvoir passer plus de dix ans à me rencontrer moi-même. J’ai exploré la méditation, des thérapies méditatives puissantes, le travail sur l’enfant intérieur, le souffle, le corps, la thérapie Primale, l’hypnose… et bien sûr de nombreuses constellations.
J’ai appris à ressentir mes émotions sans les analyser, à les accepter pleinement. J’ai identifié mes blessures, apprivoisé mes démons. Ils sont toujours là, mais je ne les projette plus autant sur les autres. J’ai compris pourquoi ma famille était comme elle était, pourquoi mes parents ont agi comme ils l’ont fait, et j’ai pu lâcher le blâme. Je prends le cadeau de la vie au sérieux, avec gratitude. J’ai plus de compassion et de patience envers les autres – et envers moi-même, sauf quand j’oublie !
Pourquoi est-il si difficile d’être en relation ? Pourquoi y a-t-il autant de séparations et de ruptures aujourd’hui ?
Dans nos vies, nous accumulons tous des douleurs émotionnelles non résolues. Eckhart Tolle appelle cela le « corps de souffrance » dans ses livres Le Pouvoir du Moment Présent et Nouvelle Terre. Il dit que « la souffrance humaine, les dysfonctionnements humains, sont activés de manière très intense dans les relations intimes ».
Les relations amoureuses réveillent le corps de souffrance. Les partenaires projettent leurs blessures sur l’autre et réagissent avec colère, peur ou fermeture. Ce qui commence comme une connexion lumineuse peut vite devenir conflit, reproches et réactivité émotionnelle.
Mais le corps de souffrance se dissout dans la conscience. La première étape est de reconnaître que cette douleur nous appartient et était peut-être là avant même notre partenaire. Dans bien des cas, l’autre ne crée pas notre douleur, il la touche par accident.
Lorsque le corps de souffrance de l’un est activé, il déclenche souvent celui de l’autre. Le conflit devient alors inévitable. La solution est de rester présent à notre douleur, de la ressentir sans la fuir. Encore une fois, la conscience est essentielle.
La prochaine fois que votre partenaire est déclenché, essayez de ne pas réagir. Respirez. Voyez qu’il ou elle lutte intérieurement. Souriez si vous pouvez. Prenez le.la dans vos bras si c’est possible.
Les constellations familiales permettent de mettre en lumière ces vieilles douleurs émotionnelles. Elles ne se contentent pas de les révéler, elles nous montrent comment les traverser avec compassion et humilité.
Pour moi, la structure familiale nucléaire actuelle ne facilite pas les choses. Du point de vue de l’évolution, la famille nucléaire (parents et enfants seuls) est un système récent et lourd psychologiquement. Les sociétés traditionnelles s’appuient sur un réseau étendu de proches pour élever les enfants et équilibrer les adultes.
Jean Liedloff, dans Le Concept du Continuum, critique l’idée moderne qu’un seul partenaire devrait satisfaire tous nos besoins émotionnels. Cette attente crée une pression énorme dans les couples.
Les constellations nous aident à nous reconnecter à notre système de soutien familial, même à nos ancêtres disparus. Cela allège la charge émotionnelle portée par le couple, et l’amour peut circuler plus librement et plus légèrement.
Comment savoir si une connexion ou une relation est malsaine ou si c’est notre ego et ses blessures qui posent problème ?
C’est une question subtile et essentielle : comment faire la différence entre une relation réellement toxique, et une réaction liée à nos blessures personnelles ou à notre ego ?
Un indice fondamental : la conscience derrière la douleur. Si la douleur vient de l’ego blessé, elle sera souvent excessive, automatique, et répétitive.
Mais si la relation est déséquilibrée, on retrouvera des signes concrets : manipulation (subtile ou non), non-respect des limites, absence d’écoute véritable, critiques constantes, instabilité émotionnelle ou jeux de pouvoir.
La clé, c’est la méditation. Elle nous donne une clarté intérieure. Elle nous sort du mental qui tourne en boucle (« Est-ce que j’exagère ? Est-ce lui ? Moi ? ») et nous reconnecte à l’intelligence du corps et du cœur. Ce qu’on ressent dans le silence est souvent plus vrai que ce qu’on pense dans la peur ou la colère.
La vérité ne vient pas d’un raisonnement, elle vient d’un ressenti profond, stable, tranquille – certains appellent cela l’intuition ou la guidance intérieure. Posez-vous ces questions : Est-ce que je me sens libre dans cette relation ? Vu(e) et respecté(e), même dans mes vulnérabilités ? Est-ce que je peux être moi-même, sans peur ?
Mais attention : les blessures personnelles ne sont pas les seules responsables. Des enchevêtrements transgénérationnels peuvent aussi saboter nos relations de façon inconsciente. Quand une personne dit qu’elle attire toujours le même type de partenaire ou qu’elle n’arrive pas à construire une relation, je suspecte un enchevêtrement systémique. Ces blocages ne font pas partie de nos émotions conscientes, ce qui les rend difficiles à identifier – mais ils deviennent évidents en constellation.
Que signifie "trouver sa juste place dans son système familial" ?
Parfois, à cause d’événements douloureux, des membres du système familial sont inconsciemment tirés pour remplir le rôle d’un autre.
Voici un exemple : dans une famille où le père est absent ou émotionnellement indisponible, la mère souffre. Le fils peut alors, par amour, endosser le rôle du père pour soutenir sa mère. Ce geste est inconscient, mais ses conséquences sont profondes : ce fils aura du mal à construire une relation amoureuse car il est déjà « pris ». La constellation permet de rendre ces schémas visibles rapidement. Une fois le rôle identifié, le fils peut se libérer, redevenir fils, et être à nouveau disponible pour une relation. La mère peut retrouver le soutien de son propre système familial. Le père, lui, se sentira à nouveau grand et important. Les deux parents retrouveront leur dignité.
Tu es originaire de République tchèque et tu vis en France. As-tu remarqué des différences entre les problématiques familiales en France et dans ton pays d’origine ?
D’après mon expérience, les problématiques familiales sont assez semblables dans toutes les cultures dites « occidentales ».
Bien sûr, chaque pays a son histoire, ses normes sociales, ses conditionnements. Mais si on met de côté les sociétés traditionnelles, le cœur des difficultés relationnelles reste le même : un manque de conscience dans la relation à soi et à l’autre. Que ce soit en République tchèque, en France ou ailleurs, je retrouve les mêmes schémas : blessures non résolues, attentes inconscientes, croyances héritées...
Où ont lieu tes stages, et en général, cela se déroule sur combien de jours ?
Mes stages ont actuellement lieu dans des lieux intimistes, au cœur du Vercors, entre la Drôme et l’Isère, dans des gîtes ou centres soigneusement choisis.
Les retraites de constellations familiales durent entre deux et trois jours. Chaque participant a la garantie d’avoir sa propre constellation, donc le nombre de places est limité.
Mes retraites de méditation ou de thérapie méditative vont de un à sept jours. Certains stages sont parfois proposés en ligne.